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  •  Nord -  Photographe expérimenté à Lille

L'art de la pose : osez le narcissisme

"On fait preuve de fausse modestie parce qu’on ne veut pas passer pour narcissique. On a peur d’être dans l’appréciation de soi parce qu’on ne veut pas passer pour narcissique. On prend l’habitude de devancer les éventuelles critiques et de s’auto-saboter parce qu’on ne veut pas passer pour narcissique.

Et si en fait, une fois de temps en temps, c’était une bonne chose de s’apprécier soi-même ?
Et si pour bien faire attention aux autres on avait besoin de prendre soin de nous-même ?
Et si on ne pouvait pas aimer autrui sans apprendre à nous aimer nous-même ?
Et si s’apprécier c’était au fond juste une étape sur le chemin d’une acceptation dépassionnée de soi-même ?
Et si ce n’était pas grave, ce qu’on pourra penser de vous ?
Et si on s’en battait les gonades de tout ça ?
Et si vous faisiez simplement ce qui vous fait du bien et qui ne fait de mal à personne ?
Et si chacun prenait un moment pour s’examiner, sans animosité, pour essayer de résoudre ce qui ne va pas, mais aussi pour accepter de voir ce qui fonctionne ?
À quoi ressemblerait le monde ?

Je suis en colère contre ces habitants d’Internet qui abordent de jeunes gens n’ayant – souvent – déjà pas vraiment confiance en eux-mêmes pour leur dire que c’est déjà trop. Je suis en colère contre ma mère qui m’a assené, à dix-huit ans, alors que je venais de faire mes premières photos, que « je me croyais plus belle que je n’étais ». Je suis en colère contre cet ex-petit ami qui m’a accusée de prendre la grosse tête alors que je lui racontais, toute heureuse, comme le photographe du jour avait été gentil de m’offrir le taxi. Je suis en colère contre ces gens qui prennent peur quand nous changeons, que nous gagnons en assurance, et qui essaient de nous tirer en arrière. Parce que pour qui est conditionné à se trouver insuffisant, le simple fait que nous commencions à nous accepter sera mal perçu, comme si c’était un reproche à leurs propres complexes, parce que rares sont ceux qui osent s’accepter vraiment, et parce qu’il sera toujours plus facile de se dire que c’est chez l’autre que quelque chose ne va pas que de se confronter soi même.

Et, quand on vous dira que vous êtes narcissiques, vous ne gagnerez jamais la discussion. Jamais.
Alors laissez couler. Dites « Oui, je suis narcissique » et passez à autre chose. Ou ne dites rien.
Et continuez de faire ce que vous faites."

Florence Rivières
"L'art de la pose : osez le narcissisme"
 


Lettre à un jeune modèle, suite à une annulation de dernière minute…

Mademoiselle,

Je mentirais en disant que je n’ai pas été déçu que notre rendez-vous ait été annulé à la dernière minute, d’autant plus que vous paraissiez très enthousiaste à l’idée de notre collaboration… Rassurez-vous, je n'ai pas l'intention de vous faire revenir sur votre décision. Vous avez vos raisons propres, dont vous n’avez absolument pas à vous justifier et que je respecte complètement :-)

Mais au risque de vous surprendre, je vais vous avouer que cette défection ne m’a pas vraiment étonné. Je collabore depuis longtemps avec des modèles débutantes et ce n’est pas la première fois que je me trouve confronté à ce genre de déconvenues ; ce ne sera certainement pas la dernière fois, non plus, j’imagine. 
Je pourrais pester bruyamment ou ronger mon frein en silence : ce qui ne serait ni positif ni productif… Je préfère réfléchir à ce qui motive une personne à se frotter à l’exercice périlleux de la pose artistique, et aux obstacles légitimes qu’elle peut  rencontrer.

Car « poser », ce n’est pas une mince affaire !
J’en ai bien conscience. Et moi-même je délaisse parfois mon costume de photographe pour passer de l’autre coté de l’objectif, avec autant de questions et d’inquiétudes que vous pouvez en ressentir - soyez-en assurée - pour vivre aussi cette expérience ;-) 
S’exposer à l’objectif d’un photographe, c’est quelque part se mettre à nu quel que soit le style de shooting qu’on pratique et même pour un « simple » portrait. On touche là au domaine délicat de « l’image de Soi », et ce n’est certainement pas sans conséquences. 
Comment les autres vont-ils me percevoir, et comment moi-même vais-je supporter l’image de moi qu’un autre va me renvoyer au travers de son propre regard ? 
Oui, ça peut effrayer, et oui, ça demande un courage certain quand on fait la démarche en pleine conscience.

Être modèle, comme être musicien, danseur ou acteur… c’est avant tout « se mettre en scène ». 
Prendre le risque de s’exposer au monde, sans détours et sans protections, se mettre en danger et s’en remettre à la direction d’un étranger, chef d’orchestre, chorégraphe, metteur en scène ou photographe… Et c’est aussi s’offrir à la vue de l’autre sans plus de contrôle sur ses réactions positives ou négatives qu’aucun autre artiste n'en aura jamais. (Après cet apprentissage, c'est vrai, il y a beaucoup de situations qui deviennent subitement beaucoup moins stressantes, comme passer un examen, le permis de conduire ou un entretien de recrutement…)

Oui, mais il y a tellement des chose plus importantes, et avant tout, les études !
C’est important, les études, c’est important, le boulot, bien sûr…
Mais est-ce qu’il qu’il n’y a que ça qui puisse nous faire avancer ?

J’ai toujours en mémoire la réflexion du Directeur des Ressources Humaines d’une grande société de distribution qui me confiait : « Je ne recherche pas des gens qui savent, je recherche des gens qui savent apprendre ! Quelle que soit votre spécialité, quels que soient les process, les techniques ou les logiciels que vous maîtrisez, ils seront tous obsolètes en moins de 5 ans. Ce qui m’intéresse, moi, ce sont des gens ouverts d’esprit qui savent s’adapter aux changements… »
Dans ce même esprit, Simon Rattle, chef d’orchestre du Philharmonique de Berlin, a dit lors d'une interview : « Nous formons les gens depuis des années dans un moule bien défini, pour une société qui n’existe peut-être plus, alors qu’il nous faut toujours plus de créatifs, de personnes qui font le lien entre les autres, qui prennent des chemins de traverse. On n’a pas uniquement besoin de bons travailleurs : cette époque est révolue. »

Tout ce que vous pouvez apprendre dans votre façon d’être est incroyablement plus productif que tout le savoir livresque qu’on pourrait engranger. Se frotter à l’expérience de modèle, comme toute pratique artistique, est loin d’être un simple passe-temps : c’est aussi et surtout une formation personnelle et humaine irremplaçable. Les études et l'art ne sont pas en concurrence, mais ils se potentialisent mutuellement. Toutes les méthodes pédagogiques modernes ont compris cela et le professent en laissant une part de plus en plus importante à l'expression artistique et à l'initiative personnelle lors des apprentissages fondamentaux.

Le monde de la photographie est plein de double-sens : on répète à tout apprenti photographe que les trois points clés de la prise de vue sont la pose, l’ouverture et la sensibilité… Coté modèle comme photographe ces mots sont pleins de significations. Saura-t-on jamais qui du photographe ou du modèle va faire un shooting exceptionnel ? Il faut du talent des deux cotés assurément et plus encore le désir de se mettre en danger et de sortir des sentiers battus. D’ailleurs, la traduction la usitée du mot « shooting » en français est le mot « séance », terme qu’on retrouve aussi dans la terminologie de la cure psychanalytique. Est-ce une simple coïncidence ?…

Voilà, j’espère que je ne vous ai pas lassée ou froissée avec ce long discours.
Qui, je le répète, n’a aucunement vocation à vous inciter à poser pour le modeste photographe que je m’efforce d’être, mais seulement de nourrir de quelques réflexions votre démarche, oh combien pertinente, de vous confronter au monde de l'image, dans tous les sens du terme ^^
 


Voies de traverses

J'ai trouvé un jour dans un studio un gros bouquin qui prétendait référencer - illustrations à l'appui - toutes les poses qui conviendraient à chaque style de photographies : une HORREUR ! La meilleur méthode à mon avis pour brider toute créativité :-(
À maintes reprises, j'ai entendu des modèles s'excuser d'être débutant(e)s et de ne pas savoir poser. Ce à quoi je réponds systématiquement que la dernière chose qui m'intéresse, c'est qu'ils ou elles "posent" ! Je les encourage à bouger, à se tromper, à discuter, à rire, à en faire "trop". Bref à se laisser aller, pour laisser s'exprimer l'inattendu, le second degré, l'indicible, la fêlure…

Exactement ce qui s'est passé lors d'une séance minutieusement préparée, où la modèle était généreusement couverte d'une huile très brillante avec un gel extra-fort dans les cheveux, pour donner l'impression d'une porcelaine chinoise vernissée, renforcée encore par le dessin de ses invraisemblables tatouages. Et entre 2 poses très étudiées, alors que je modifiais le plan d'éclairage, j'ai surpris une attitude improbable de la modèle qui avait relâché la pose, complètement anti-académique, mais d'une délicatesse et d'une fragilité incroyablement émouvante. Je tenais juste à ce moment-là ce que je recherchais depuis une demi-heure, et qu'aucun manuel de pose n'aurait pu m'enseigner !
Voilà ce que j'appellerais "voies de traverses", se tenir à l'affût de ces instants magiques et impromptus en marge du bon goût et de la bonne technique. Au risque de déplaire (mais ça c'est tout-à-fait anecdotique : le fait que certains de mes clichés aient été rejetés lors de concours très officiels me réconforte plutôt sur l'opportunité de ma démarche). Au risque de me tromper (ça arrive aussi, mais bien sûr je ne m'attarde pas sur mes ratages techniques ou esthétiques). Au risque de décevoir les modèles qui me font confiance (c'est pourquoi je ne propose les shootings les plus audacieux qu'aux modèles qui ont l'habitude de mes élucubrations). Au risque d'être mal interprété ou de blesser certaines personnes (que certaines photos passent pour de la provocation, ou du sexisme, par exemple)…

La photographie n'est sans doute rien d'autre qu'une scène de la vie : oser (se) montrer et (se) voir est une entreprise audacieuse pour le modèle et pour le photographe une responsabilité insoutenable ou une totale inconscience :-)
 
 

Le plaisir du texte

"Le plaisir n’est-il qu’une petite jouissance ? La jouissance n’est-elle qu’un plaisir extrême ? Le plaisir n’est-il qu’une jouissance affaiblie, acceptée — et déviée à travers un échelonnement de conciliations ? La jouissance n’est-elle qu’un plaisir brutal, immédiat (sans médiation) ?
 
De la réponse (oui ou non) dépend la manière dont nous raconterons l’histoire de notre modernité.
 
Car si je dis qu’entre le plaisir et la jouissance il n’y a qu’une différence de degré, je dis aussi que l’histoire est pacifiée : le texte de jouissance n’est que le développement logique, organique, historique, du texte de plaisir, l’avant-garde n’est jamais que la forme progressive, émancipée, de la culture passée : aujourd’hui sort d’hier, Robbe-Grillet est déjà dans Flaubert, Sollers dans Rabelais, tout Nicolas de Staël dans deux centimètres carrés de Cézanne.
 
Mais si je crois au contraire que le plaisir et la jouissance sont des forces parallèles, qu’elles ne peuvent se rencontrer et qu’entre elles il y a plus qu’un combat : une incommunication, alors il me faut bien penser que l’histoire, notre histoire, n’est pas paisible, ni même peut-être intelligente, que le texte de jouissance y surgit toujours à la façon d’un scandale (d’un boitement), qu’il est toujours la trace d’une coupure, d’une affirmation (et non d’un épanouissement), et que le sujet de cette histoire (ce sujet historique que je suis parmi d’autres), loin de pouvoir s’apaiser en menant de front le goût des oeuvres passées et le soutien des oeuvres modernes dans un beau mouvement dialectique de synthèse, n’est jamais qu’une « contradiction vivante » : un sujet clivé, qui jouit à la fois, à travers le texte, de la consistance de son moi et de sa chute."
 
Roland Barthes